Et mourir en hiver.

[Dis Monsieur, tu m'emmènes avec toi?]

Et tu sais, on peut partir quand tu veux. J’ai déjà refait ma valise, j’ai mis dedans tous ces bouts de moi qui traînent un peu partout, des lambeaux de voiles bleues, des fragments oubliés de cieux, des morceaux de mon automne, du soleil, et beaucoup, beaucoup de pluie. Pour en faire de la neige, ou ‘t’être même du coton, un autre jour. J’ai emballé mes sourires dans un mouchoir, pour ne pas les abîmer, et je les ai rangés, là bas, tout au fond de ma poche. Puis si t’es gentil, si tu m’écrases pas, si tu me laisses pas au bord d’une autoroute, si t’es pas lassé de moi, je te les offrirais.
Et si tu me tues, si tu m’abandonnes en chemin, si je déraille à cause de toi, si tu me jettes comme un vieux décor, ben je te les donnerais quand même. Pour que tu en prennes soin à ma place, qu’ils soient heureux. Pour que je ne risque pas de les jeter sans faire exprès. Ou de les noyer dans l’eau du lac. Et partage les, aussi.
Et si tu viens pas, je partirais toute seule. Mais c’est moins drôle, puis je vais encore oublier de m’endormir ou bien tomber d’un pont sans faire exprès. Et si je trébuche sur un pavé, y’aura personne, pour me ramasser. Et surtout, je ne sais pas choisir, et encore moins revenir en arrière. Alors sûrement que je tournerais en rond, tout autour de la terre, et qu’on ne me retrouvera jamais parce que je finirais par me perdre. Mais moi j’m’en fous, tu sais, de suivre ma route en solitaire. C’est juste que comme je t’aime bien, et plus que bien, même, j’aurais bien aimé t’avoir à mes côtés. Mais c’est pas grave, hein, je suivrais le vent quand même, le vent, et puis les vagues, les tempêtes et les courants. Et j’m’en fous bien, si j’me noie. J’suis toute à la rivière.
Et là, j’ai comme des éclats de rien plantés dans la tête. Ca fait mal, j’te jure. Et pourquoi j'suis dans la rigole ? J'suis toute trempée.. Et la lumière du réverbère, elle me fait mal aux yeux. Et j’ai cassé ma bouteille sur le rebord du trottoir, en tombant. C’est injuste. J’ai soif, j’ai plein d’amertume coincée dans la gorge, plein de choses, de cris, de mots, à ravaler. Et j’ai perdu mes allumettes, en plus. Je peux plus faire comme la petite marchande, apercevoir l’bonheur et le chercher, après. Heureusement qu’il me reste la neige. Et s’ils voulaient bien éteindre ce foutu lampadaire, je pourrais revoir les étoiles, aussi. Et ne plus voir mon reflet dans le ciel. Et me relever. Mais là, je ne peux pas, toutes ces particules de lumière me retiennent au sol comme un tas de cailloux sur ma poitrine. Et j’ai froid. Et la poignée de ma valise en carton, elle me scie les doigts. Et si je meurs, je veux que ce soit en hiver, pour m’endormir dans un palais de givre. Avec des vitraux de glace.
Mais de ça, on s'en fout.
Dis, alors, tu viendras?
Ou pas...

Ecrit par Lisenn, le Jeudi 10 Novembre 2005, 23:51 dans la rubrique "After Time".

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