... Devil Child ...

L'enfant est assis, là, sur le banc, les mains sagement posées sur les genoux, et les yeux absents, comme absorbés par la contemplation de la poussière brune du chemin.

Il ne sourit pas, il a même l'air un peu triste, un peu en colère aussi.
Il serre les dents derrière son masque d'enfant sage, comme ça il ne pleurera pas, il n'en a pas besoin , il sait que quand viendra la nuit il pourra se venger, mais le jour, il doit paraître innocent, comme les autres enfants qui jouent sur l'herbe en face de lui et qu'il n'a pas le droit de rejoindre.
Et puis la nuit va venir s'installer, il va l'attendre, ici, sur ce banc, il n'a pas d'autre endroit où aller, et quand elle descendra doucement assombrir la terre, alors il pourra relever la tête.
Il regardera les étoiles, avec rage, comme pour leur reprocher de l'avoir laissé seul, elles ou ceux qui y habitent, ça ne fait pas de différence, il a été abandonné là, sans rien pour survivre qu'un corps frêle et des yeux pour pleurer.
Mais il n'est pas mort, il a appris à se battre, juste parce-que finir allongé par terre ça leur aurait bien trop fait plaisir, à eux, là haut, nourris seulement par sa haine et sa rage de vivre, il a survécu avec sa différence, celle qu'ils ont rejetée, et puis comme ça quand il se sera battu jusqu'au bout et qu'il tombera sans pouvoir se relever, il n'ira pas les rejoindre, il descendra vers les flammes, il y brûlera ses ailes noires dans les cris et les plaintes, la chaleur séchera à jamais les larmes qui lui restent et il oubliera dans la douleur ce qu'il a vécut.
Oui, ce soir, quand ces autres enfants seront rentrés bien au chaud chez eux et que le vent se mettra à siffler contre lui, que ses lèvres deviendront bleues et qu'il aura fini de regarder les trop souriants yeux du ciel, toutes ces étoiles qui brillent bien trop pour lui, alors se peindra sur son visage un sourire, un sourire de dément. Dans ces yeux s'allumeront ces violentes flammes écarlates, il se lèvera de son banc, et, à la lueur de la lune, les ailes noires jaillissants de son dos déchireront ses vêtements trop grands pour lui.
Il ira rire au nez des passants noctambules, d'abord ils ne comprendront pas, ils croiront qu'il est un enfant comme les autres, et puis quand enfin la vérité s'imposera à eux et que la peur les gagnera, il sera trop tard.
Et puis, de tous ceux que Morphée aura oublier d'emmener en voyage, il fera couler le sang, il aspirera leur âme en souriant méchamment, et toute la vie qui jaillira ira tâcher les murs gris, la petite ombre aura fait tomber la grande, et personne ne le saura avant que le soleil ne se lève.
Il noie ses larmes prisonnières dans ce liquide chaud qui hurle en s'enfuyant, il tue sa douleur en même temps que tous ces gens, ces innocents et ces autres qui le sont moins, tous ces visages humains qui se raidissent et pleurent une dernière fois.
Il tâchera ses mains brunes de rouge, et puis sur les visages aux yeux fermés des gisants, il dessinera de la pointe de son couteau des sourires naïfs, sourires sanguinolents et sans aucune beauté.
Et puis il s'en ira où ne sais où, il partira en marchant tranquillement, et sa petite silhouette se fondra dans le noir.
Et demain, il s'assiera ailleurs, sur un autre banc ou au bord d'un lac, il reprendra son air d'enfant triste et son attitude sage, et il attendra simplement que la nuit revienne...