Et mourir en hiver.

[Elle était une fois]

(Elle)
Mais je n’aurais pas du naître fille, tu sais.
J’aurais aimé un ‘il’, à la place de ces ailes encombrantes et de ces formes étranges qui m’inondent la poitrine. J’aurais été un autre, et je l’aurais été vraiment. Pas ce mensonge d’ennui qui me condamne encore.
Quand j’étais petite, je crois que j’étais un garçon.
Et j’avais mon navire en haut du cerisier, les joues rouges, les genoux couronnés de bleus. Des yeux d’écorché vif. Une voix rauque, et presque silencieuse. Presque muette.
Et le visage d’un voyou.
Mais aujourd’hui, encore, si je cache mes cheveux, on me confond. Parce que j’ai les mêmes habits, les mêmes manières, la même fierté. Parce que je ne pleure jamais, et que je sais frapper.
Parce que je n’ai jamais peur, ou que je ne le montre pas.
Parce que je sais faire les mêmes plaisanteries débiles, et que je ris plus avec eux qu’avec elles.
Parce qu’eux m’acceptent comme les leurs, et qu’elles, non.
Parce qu’on me l’a dit encore, l’autre jour.
‘Mais toi, Manon, on peut pas te faire de cadeaux, t’es plus une fille’
Et que j’ai été heureuse de l’entendre.
Je suis dure. Et forte, en apparence.
Evidemment, maintenant, ça ne marche plus. Mais avant, j’aurais pu aimer les femmes, et leurs corps, leurs tristesses, leurs rires et leurs faiblesses. Leurs forces tranquilles, et leurs yeux papillons.
Je les regarde encore, et je me retourne sur leurs pas quand elles sèment sur leur passage leurs étoiles furtives. Presque, je pourrais en être amoureuse.
On pourrait même dire que je le suis, parfois. Mais pas comme l’entendent les gens. Juste pour voir, pour regarder. Contempler.
Aimer avec les yeux.
Mais pour le reste, ça ne marche plus. Je veux rester fille. Pas femme, jamais. Mais fille, pour lui.
Parce que c’est comme ça que je veux l’aimer.
A visage découvert.

(Etait)
Parce que ça se voit, souvent, que je m’accroche au passé.
Mais j’ai l’avenir en tête aussi, tu sais.
Et bientôt, je délaisserais ma terre, mes fausses racines. J’abandonnerais mes heures, et mes contraintes futiles.
Et j’irais la voir elle, parce qu’à nous deux on aura toute la vie devant nous.
On ira s’asseoir sur des bancs, et on fera peur aux oiseaux. On parlera, de tout, de rien, juste pour le plaisir d’entendre ces voix qui manquent un peu, tout le temps, sans qu’on s’en aperçoive.
On ne sera pas sérieuses, ou pas trop, parce que ça ne sert à rien. Mieux, même, on ira rire, au nez des passants qui nous on si longtemps jugées.
Pour un temps, ou bien pour toujours. On effacera nos larmes, nos doutes et nos chagrins.
De tous ces kilomètres, tu vois, il n’y a plus qu’un train, pour nous séparer.
Un seul.
Alors bientôt, demain, peut-être, on s’en ira apprendre, et vivre.
Parce qu’on a tout l’avenir, pour être libres.

(Une fois)
Pour toutes celles on l’on s’est ratés.
Et toutes celles qui nous berceront, demain.
Pour toutes les scènes qu’on aurait du refaire.
Et qu’on préfère encore laisser s’éloigner du rivage, et tout recommencer.
Pour toutes ces vies qu’on s’est rêvées, pour la seule qu’ils ont bien voulu nous donner.
Pour toutes nos morts esquivées.
Pour la chance qu’on ratera pas toujours.
Pour nous.

Ecrit par Lisenn, le Samedi 3 Décembre 2005, 00:02 dans la rubrique "After Time".

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