.¤* On s'était dit... *¤.
Allongée sur le lit, les yeux clos, elle se laisse doucement bercer par la musique. Un rayon de soleil s'emmêle dans ses cheveux défaits et lui effleure timidement la joue. Un léger sourire s'attarde sur ses lèvres roses, tandis que le vent agite faiblement les rideaux grands ouverts. Dans l'air s'éternise une note paisible qui enveloppe la pièce d'une douce lueur. Elle se sent bien, pour la première fois depuis des semaines. Elle voudrait s'endormir là, maintenant, retrouver le sommeil paisible qu'elle a perdu depuis si longtemps.
Pourtant, il lui semble qu'elle oublie quelque chose. Un détail, une chose infime mais importante. Elle ouvre les paupières, cherche sur les murs de boir un quelquonque signe, s'attarde sur le calendrier accroché et se perd entre les chiffres. Elle cherche la date du jour qui s'écoule lentement, la découvre, la lit et la relit pour en découvrir la clé. Elle sait qu'aujourd'hui est un jour différent de tous les autres, mais elle ne parvient plus à distinguer en quoi.
Des bribes d'histoire, des paroles apparaissent peu à peu dans son esprit. Elle les laisse défiler, les assemble, les recoud, les recolle, et petite à petit, se dessine au fond d'elle un souvenir enfoui depuis longtemps sous le poids des années et de leurs aléas.
C'était aussi un 17 juin, mais il y a longtemps, si longtemps...
Il faisait beau, trop peut-être, l'air était lourd et l'herbe s'était teintée du même doré que le sable des plages. Elle avait 6 ans et lui 8. Ils avaient couru à travers les champs, escaladé les dunes et leurs jeux avaient fini par les mener au bord de la falaise. En contrebas, la mer hurlait et venait heurter avec fracas les rochers noirs, projetant dans l'air des milliers de gouttelettes d'écume que le soleil faisait scintiller.
Malgré toutes les recommendations de prudence qu'on leur avait enseignées depuis toujours, ils s'étaient assis les pieds dans le vide, côte à côte. Ensemble, ils avaient regardé les derniers rayons de lumière s'attarder et colorer l'eau agitée jusqu'à ce qu'on la confonde avec l'horizon. Au moment où le ciel s'était embrasé, elle avait détourné son regard pour le plonger dans le sien. Elle avait dans les yeux le bleu du ciel et lui avait dans les siens la couleur des vagues les jours de tempête. Ils s'étaient regardés, longtemps. Ils s'apprivoisaient.
Elle ne savait pas si elle devait sourire ou bien rester sérieuse, et balançait sa tête de droite à gauche tout en serrant convulsivement sa robe entre ses doigts minces. Enfin, sa petite voix claire et fragile avait osé troubler le silence.
- Tu veux que je te dise un secret?
- Oui...
- Alors tu me promets que tu ne le diras jamais à personne?
- C'est promis.
Elle s'était rapproché de lui jusqu'à ce que leurs épaules se touchent et lui avait murmuré une phrase au creux de l'oreille.
- Tu sais, un jour, tous les deux, on sera amoureux. Tu veux bien?
- Oui.
Et ils étaient rentrés, en courant pour échapper à la nuit qui descendait lentement. Main dans la main. Ce fut la dernière fois.
Le lendemain, de bonne heure, il était parti, installé à côté de sa mère sur le siège avant d'un grand camion. Elle lui avait dit au revoir depuis sa fenêtre, et quand elle était descendue, le camion n'était déjà plus qu'un petite point au loin. Elle l'avait poursuivi un peu, mais il n'avait pas tardé à disparaître. Elle n'avait pas pleuré. Elle s'est rendue là où ils avaient l'habitude d'aller, sur la plus haute branche du vieux cerisier. Dans le creux qu'un écureuil avait fait au tronc, elle avait trouvé une feuille de papier pliée en quatre. Elle avait reconnu son écriture, maladroite et désordonnée, mais qu'elle trouvait si belle à l'époque. Il lui disait juste
"On se reverra dans dix ans, là bas"
Et il avait signé. Maël.
Elle avait grandi. Il avait disparu dans un coin de sa mémoire, effacé jusqu'à aujourd'hui.
Maintenant, elle se souvenait. Elle riait silencieusement, sans s'apercevoir qu'une larme roulait le long de sa joue. Elle sentait dans son coeur une bulle chaude qui la serrait à l'étouffer. Le poids des souvenirs lui semblaient à la fois comme des pierres lourdes à porter et une paire d'ailes légères pour s'envoler. Dehors, le ciel s'était déjà teinté de mauve et d'orangé. Elle prit sa décision. Elle se leva, et, sans prendre la ni de se coiffer ni de remettre en ordre ses habits froissés, elle a descendu l'escalier, franchi la porte pieds nus en oubliant de la refermer, et s'est mise à courir, d'abord le long de la route, puis à travers l'herbe encore toute tiédie par le soleil. Elle espérait qu'elle arriverait à temps, même si lui ne venait pas. Elle voulait tenir la toute première promesse qu'elle avait jamais faite. Et tandis qu'elle courait, le long de ses joues coulaient des larmes qu'elle ne retenait pas. Elle laisser glisser dix ans de faux-semblants, de mensonges à elle-même pour détourner la vériter, elle abandonnait dix ans d'un avenir qu'elle n'avait pas choisi, et, elle le savait, changerait ce soir. Elle s'essouflait, mais ne s'arrêtait pas. Le paysage lui était étrangement familier. Elle habitait plus loin qu'avant, mais déjà elle reconnaissait ces mêmes dunes qu'elle avait grimpées avec lui, bien qu'elles aient un peu changé. En cet instant, elle se sentait chez elle, elle se sentait elle-même. Elle n'aurait su dire ce qui était en train de changer en elle. Elle comprendrait plus tard. Qu'elle réapprenait à vivre.
En apercevant au loin les couleurs du ciel sur lesquelles s'imprimait le relief déchiqueté des falaises, elle a ralenti un peu. Au dessus d'elle, une première étoile s'est allumée. Elle l'a sentie qui s'allumait aussi dans ses pupilles trop foncées. Elle a sourit. Au lointain, une silhouette semblait attendre, balançant ses pieds dans le vide...
[...]
Lisènn...
Ecrit par Lisenn, le Vendredi 17 Juin 2005, 22:13 dans la rubrique "After Time".
Commentaires
... rendez-vous dans dix ans...
pierredelune
18-06-05 à 16:31
Je ne sais pas si c'est une histoire vraie, mais en tout cas, elle est vraiment belle et touchante...
Bravo, un petit mot qui résume quand-même mal. : )
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... même jour, même heure...
Lisenn
19-06-05 à 22:56
Je crois que la seule chose que je peux dire, c'est Merci...
=)
Bises
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