Et mourir en hiver.

... Faux-Semblant ...

Elle s'adossa contre le mur à côté de la porte, et s'absorba dans la contemplation du sol en attendant que je défilé des élèves qui quittaient la salle soit terminé. Ses longs cheveux noirs ondulaient légèrement sous l'effet d'un courant d'air et elle les laissa caresser doucement ses joues pâles en attendant que l'on daigne lui adresser la parole. Son visage était de glace, tel celui d'une statue, et seule elle même aurait pu remarquer les légers plis soucieux au coin de ses paupières qui assombrissaient son regard d'une note triste. Elle eut un faible sourire désanchanté en songeant à la raison pour laquelle on l'avait retenue ici. Encore l'éternelle leçon, et cette fois encore on lui reprocgerait qu'elle n'ait toujours pas fini par porter ses fruits. L'idée de prendre au sérieux le jugement que l'on avait d'elle ne l'effleurait même pas. Elle se savait ainsi, et, sans pouvoir tout de même être assez forte pour l'accepter, elle ne s'en souciait pas le moins du monde et laissait le cours du temps filer comme il l'entendait tant qu'il n'interrompait pas le cours de ses pensées.

- Océane...

Elle releva juste assez la tête pour observer son interlocutrice et laissa son regard absent se poser sur le sien sans pour autant la détailler avec curiosité. Elle le faisait simplement par habitude, pour lire les mots qui restent prisonniers, mais sans insistance car ils s'imposaient eux-mêmes à son esprit. L'autre semblait chercher sa phrase, elle hésitait, et quand enfin sa voix trancha dans le silence, elle tremblait, presque imperceptiblement, mais assez pour qu'Océane, entraînée à déceler la moindre vibration dans les voix qui l'entouraient, le remarque et commence à enregistrer machinalement tous les autres signes qui montraient qu'encore une fois, on ne savait pas comment agir avec elle. Elle soupira intérieurement, sans que son visage parfaitement lisse et vide trahisse la moindre émotion.

- Ecoute... Qu'est ce que tu as depuis un moment? Qu'est ce que tu as? Regarde ce que tu fais... S'il te plait, ressaisis toi, ne m'oblige pas à devoir aller contre toi... Explique moi, parle!...

Océane haussa légèrement ses épaules et continua de regarder les yeux désorientés en face d'elle, les lèvres closes comme un bouton de rose qui refuse de s'ouvrir. Le soleil jouait sur les murs, glissait sur ses mèches sombres qui ruisselaient et illuminait le pièce d'une lueur chaude et pourtant lointaine. Au loin, résonnaient encore les derniers pas étouffés dans les escaliers, et bientôt le bâtiment se tairait, enveloppant les deux silhouettes d'un froid étrange juste troublé par le murmure calme des respirations. Elle avait fait le vide en elle, comme un immense espace sans limites où quelques étoiles timides pointaient tout juste, et le paysage ne faisait que s'imposer à ses yeux qui ne le voyait pas. Elle écoutait le silence presque parfait en se demandant quand est ce qu'il serait détruit par les paroles qu'elles n'entendait pas vraiment, fascinée qu'elle était par une douce musique venue du plus secret recoin de son coeur et qui résonnait au creux de ses oreilles seulement. Comme si ses paupières s'ouvraient soudain, elle repris conscience du visage perplexe qui la dévisageait sans trouver le moindre signe pour la rassurer. Elle nota les joues lisses et douces un peu ridées, le brun un peu délavé des tresses et les pupilles minuscules perdues dans un lac couleur d'émeraude. Elle devina les questions qui la hantaient à propos de cette jeune fille étrange qu'elle était, et, se décidant gentille, décida d'y mettre fin...

- Oui, oui, j'essaierais de remonter...

Sa voix était grave, éraillée par le silence qui l'emprisonnait trop souvent mais résonna avec détermination et clarté dans la pièce presque déserte. Derrière les bureaux n'étaient assis que des rayons de soleil au travers desquels scintillait la poussière et l'absence de bruit à d'animation donnait à l'endroit une impression étrange d'irréalité. Elle savait avoir employé le ton juste qu'elle avait depuis longtemps calculé et qui avait le pouvoir de convaincre ceux qui jugeaient là dessus. Elle esquissa un sourire qu'elle seule savait faux mais qui paraissait franc et assuré. L'autre vit son inquiétude s'envoler et Océane s'en voulut un peu que la réponse à son sourire-mensonge soit un aussi beau sourire et autant de pailettes dans les yeux de son interlocutrice. Elle sentit que l'air s'était détendu et qu'elle avait gagné pour cette fois.

- Allez, va...
- Au revoir...

Elle tourna les talons et quitta la salle sans se retourner, sachant très bien que les yeux la suivaient, cherchant un signe qui pourrait trahir une faille mais qu'il ne trouvaient pas. Elle savait que sa voix avait une intonation respectieuse, comme elle en avait envers chaque être vivant cer elle ne méprisait personne, mais elle savait aussi qu'elle n'était porteuse d'aucune gentillesse, aucun sentiment. Songeuse, elle traversa les couloirs silencieux en se demandant pourquoi elle n'arrivait pas à considerer autrement qu'en temps que personnes croisées les gens qui lui portaient un peu d'attention. Elle était égale avec tous et n'accordait ses faveurs à personne, s'isolait volontairement et vivait dans son monde à l'écart que rien ne pouvait troubler.
"La vérité, c'est que je n'ai pas de coeur...", pensa t-elle et descendant une à une les marches en pierre. Cela la rendit un peu triste, esquissant dans ses yeux limpides une ombre de mélancolie. Elle se rendait compte à présent combien son coeur était froid et loin des humains... Mais elle s'interdit elle-même de s'éterniser sur ses sentiments et les refoula au plus profond d'elle même. Il lui suffisait de croire que quand le moment serait voulu, elle saurait ouvrir son coeur. Elle avait une rôle à tenir, à jouer, et la moindre faute pouvait lui être fatale. Sa façade devait être infaillible, lisse et droite, dure et impitoyable comme le plus solide des murs. Sa place n'était pas ici, mais elle se devait de conserver ce faux-semblant de vie pour garder sa fierté, son rêve, l'unique clé de son véritable monde. Elle donna à ses lèvres le dessin d'un sourire joyeux, les yeux transparents comme deux fenêtres sur la nuit constellée, et entreprit de dévaler le restant des escaliers à la manière enfantine et insouciante de son personnage pour rattrapper les autres. Sa silhouette se perdit dans l'aveuglante lumière du soleil et son souffle léger fut éteint par les paroles futiles qui berçaient chaque recoin de la sombre cour pavée.

Une vraie poupée de glace, aux larmes d'eau cachées, piétinées. Avec du vent pour la guider, l'envelopper comme dans une bulle et l'emmener loin dans ses rêves, avec du feu au fond des yeux que des larmes n'auraient fait qu'attiser...

[Dark]

Ecrit par Dark-ever, le Vendredi 13 Mai 2005, 21:10 dans la rubrique "After Time".

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