.¤* Lettre à personne *¤. [2]
Cher toi,
J'ajoute à ma précédente lettre ces quelques mots sans grand intêret, mais qui me tiennent à coeur. Pour la simple raison que j'aurais aimé partager quelques instants tranquilles aux côtés de quelqu'un. En ce soir, l'horizon s'illumine de couleurs magnifiques, poudrées d'or, et même les pics de glace du continent mort semblent revivre. Comme d'immenses flammes chatoyantes balayant le ciel, des vagues de couleurs portées par le vent, le ciel s'est embrasé, peut-être pour son dernier spectacle, et j'aurais aimé saluer cette magie en une autre comagnie que celle des arbres millénaires qui ne soufflent mot ni ne se rident, impassibles même en de telles circonstances. Mais mes mots sont bien faibles pour décrire ce que, plus que mes yeux, c'est mon coeur qui regarde. Quelques larmes ourlent mes paupières, et je n'ose esquisser un geste pour les essuyer de peur de troubler cet instant, que j'ai déjà l'impression de déranger du faible crissement de ma plume sur ce papier. C'est une maigre consolation que de se confier ainsi à un simple parchemin, quand les mots se retrouvent impuissants, gauches devant une beauté presque parfaite et une minutie presque surnaturelle dans le mélange des couleurs. Un peintre n'aurait su faire mieux. Je me croirais presque prisonnière d'un décor, héroïne malgré moi d'un film. J'en viendrais même à l'espérer, car je ne peux tout à fait croire en la mort de tous les miens, de tous ceux que j'ai aimés autrefois.
Mais je sais que, si le destin m'a offert ce havre ce paix somptueux et tranquille, il l'a fait uniquement pour moi, et pour ceux qui en sont les uniques créateurs véritables. Ils partagent ce lieu avec moi car je crois en eux, en leurs rêves et en leur histoire, même s'ils ne s'approchent jamais de moi. Ils sont les jardiniers, les architectes de ce petit monde, et pourtant ils n'ont pas l'orgueil de le posséder, ils y vivent, simplement. Ce peuple mystérieux ne connaît pas la haine, ils vivent en parfaite harmonie entre eux, en communion avec chaque plante, chaque poussière, chaque caillou. Ils se déplacent avec une grâce diaphane, mysthique, et leurs gestes mesurés semblent danser une singulière, mais envoutante valse, à côté desquels chacun des miens paraissent maladroits. Leur voix est douce, flûtée, et leur chant se dissimule dans l'air et s'y fond, créant une atmosphère légère et profonde à la fois. On dit que les paroles de ces mélodies racontent l'histoire des mondes depuis leur création à tous, mais ils sont si complexes que je ne peux en saisir que des bribes, et qui pourtant me paraissent comme autant d'univers inconnus dans lesquels je me perd volontiers.
Il faut que je t'avoue, inconnu, qui puisse tu être, je t'aime déjà. Oh, n'aie pas peur, je t'aime à la manière de cet endroit, à la manière de ces habitants. Mon amour est mélodie, il s'élève dans l'air telle une plume légère et floconneuse, il s'incrit aux côtés de ceux des exilés des étoiles sur les feuilles dorées des arbres de ce sanctuaire. Je t'aime naïvement, comme seule une enfant peut le faire, et dont la seule conséquence est ce faible sourire sur mes lèvres sans âge, et ces tendres souvenirs dans lesquels je me noie. Je t'aime comme j'aime ce monde et tout ce qui en fait partie. Je te vois toi aussi à travers les silhouettes brumeuses dessinées par les reflets changeants du ciel, et toi non plus tu n'as pas de visage. Mais déjà la nuit tombe, déjà les murmures apaisants des enfants des étoiles s'emparent du silence et le transforment en douce broderie dont chaque point est une note lumineuse dans la pénombre. Déjà, mes yeux se ferment et mon âme s'en va rejoindre ces longues litanies envoutantes dans lesquelles je m'enroule et qui me bercent jusqu'au matin.
Adieu, encore une fois...
Enaëlle, seule éphémère en ce lieu d'éternité...
Ecrit par Dark-ever, le Dimanche 1 Mai 2005, 19:14 dans la rubrique "After Time".