... Incohérence ...
Une lettre, puis un mot.
Jusque là, tout va bien. Et puis un deuxième, un peu gauche, et le troisième vient tout emmêler. Une phrase sans aucun sens désormais. Et si tu recules un peu, tu verras qu'en fait tout autour de toi se tiennent timidement des armées entière d'élocutions étranges qui attendent que tu choisisse l'une d'entre elles, puis une autre, et ainsi jusqu'à ce qu'il n'y en ait plus. Elles ne bougent pas, elles se serrent les unes contre les autres comme si elles avait froid, et leurs grands yeux candides tu supplient sans en avoir l'air. Tous ces mots qui n'appartiennent qu'à toi, ils ne désirent qu'un chose, tu sais. Etre entendus.
Mais tu ne peux pas les prononcer. Ne t'inquiète pas, ils ne t'en voudront pas. Ils comprennent qu'ils ne sont pas exprimables. Mais si tu veux les rendre heureux, alors chuchote les le soir, murmure les pour raconter des histoires, souffle les dans le vent, parce-qu'ils existent des petites oreilles pour t'entendre, et qui s'endormiront sereinement grâce à toi. Si, si, je t'assure. Regarde, plisse un peu plus les yeux. Là bas, dans le coin, un petit scintillement furtif. Ne te force pas à regarder, laisse aller ton regard. Tu vois, maintenant, n'est-ce-pas? Tend la main, il viendra s'y poser. Il est à peine plus grand que ta paume. Son corps frêle et mince est revêtu de bleu roi, d'un manteau curieusement doux et brillant, sur lequel se détachent dans son dos deux délicates ailes irisées. Ses yeux ronds couleur océan qui lui mangent la moitié du visage te dévisagent gentimment, avec un air compréhensif et enfantin à la fois. Il n'a pas de bouche, aussi, tu ne peux pas voir le sourire qu'il t'offre, mais sois sure, petite fille, que c'est cette petite flamme qui danse dans ses prunelles dorées. Sa peau mauve, presque transparente, semble se fondre dans l'air. De ses doigts minucules, il trace sur ta manche des signes compliqués. Petite fille, il t'a choisie. Il t'a désignée comme son amie. Désormais, tes mots incohérents auront un sens pour eux. Oui oui, eux. Relève la tête. Ils sont des millions à te sourire à leur manière, suspendu dans les airs de leurs ailes qui frétillent sans autre bruit que la caresse du vent.
Mais ils disparaissent soudain, apeurés. Non, ne sois pas triste, petite fille, ils reviendront, sois en certaine. Autour de toi tout est trouble, comme la surface immense d'un lac qui se ride. Quelqu'un approche. Un silhouette menue se dessine en face de toi. Une petite fille habillée en garçon, les cheveux emmêlés et les yeux larmoyants. Elle te dévisage, les joues rouges, les mains devant la bouche comme pour s'empêcher de parler. Par moments, elle devient floue, semble s'effacer, et pourtant elle reste là. Curieuse, tu tends la main pour la toucher, et elle fait de même. Vos doigts se frôlent, s'apprivoisent, et pourtant la surface que tu rencontre est lisse et froide, moqueuse. Tu comprends. C'est toi que tu regarde. Pourtant, tu ne te reconnais pas. Tu as l'air si fragile, si désemparée, et pourtant si courageuse, tu vois dans ses yeux cette même détermination que les héros des anciens temps qui ne craignent ni la mort, ni les combats, et qui ne se rendent jamais. Elle te ressemble, c'est vrai. Peut-être...
Tu ferme les yeux, et puis tu les réouvre. Tu es toujours appuyée contre la vitre de ta fenêtre. Rien n'a changé, si ce n'est la pendule en face qui a fait changé ses aiguilles de places. Dehors, le soleil dore l'herbe qui ondule et les boutons des roses. Il y a dans cette vision quelque chose d'attirant. Tu voudrais t'y précipiter, te noyer dans le chant de la rivière et t'intoxiquer du parfum des branches en fleurs. La porte est ouverte. Les mots se bousculent dans ta tête, ils sont des histoires à raconter au grand air. Et puis regarde, près du grand cerisier, un léger scintillement dans l'air...
*
[Dark]
Ecrit par Dark-ever, le Samedi 30 Avril 2005, 12:04 dans la rubrique "After Time".